27 de outubro de 2005
Sahara Occidental: aux portes du terrorisme
Por Ana Gomes
Six morts de plus à Ceuta et Melilla, et ce ne sont pas les premiers Africains à mourir en cherchant à pénétrer dans l'enclave et le "paradis" de l'Union européenne. Alors nous, européens, nous dressons des bilans sur l'état de pauvreté de l'Afrique, nous dénonçons la corruption de ses dirigeants (moins nos entreprises qui trop souvent l?encouragent) et enfin nous nous agitons avec notre aide humanitaire.
Chaque situation est particulière, celle qui nous lie au Maroc et aux enclaves espagnoles est empreinte d'une complaisance qui doit cesser. Il ne s'agit pas seulement du passage des émigrants à travers ses frontières et de l'abjecte réaction des gendarmes marocains, soudainement zélés, qui lâchent leurs troupeaux humains, les mains encore attachées dans le dos, au milieu du désert, au sud d'Oujda.
Les interrogations de l'Union européenne ont des racines plus profondes que celles mise à jour par un légitime courroux autour de Ceuta et Melilla. Depuis plus de 10 ans, des délégations de députés du Parlement européen se rendent en mission au Sahara espagnol, au Sud du Maroc. En vain, elles croisent un fantôme nommé référendum d'autodétermination et, en dernier recours, permettent à 180 000 autres fantômes de survivre grâce à l'aide humanitaire distribuée.
En mars dernier, avec d'autres députés du Parlement européen et de l'Assemblée nationale espagnole, j'ai partagé la vie des réfugiés de Tindouf, dans le sud de l'Algérie, au "Hamada", le désert des déserts. Quatre petites journées pour rencontrer ceux qui depuis exactement trente années se battent pour revenir chez eux, les territoires occupés par le Maroc. L'aide humanitaire, dans le désert, est la principale source de subsistance. Les Sahraouis pourraient s'en passer, ils savent survivre dans un environnement inhospitalier. A condition d'être chez eux.
Il est temps maintenant de cesser d'alléger la conscience de certains des membres de l'Union européenne, ceux qui portent leur part de responsabilité dans le blocage du processus de décolonisation du Sahara occidental. Une solution politique pourrait voir le jour sous l'égide des Nations Unies qui en 1991, déjà, créa la "Minurso" organisme chargé d'observer le cessez-le-feu signé entre la "République Arabe Sahraouie Démocratique" et le Maroc.
Les 404 derniers prisonniers de guerre marocains détenus par le Front Polisario, le mouvement nationaliste sahraoui, ont été libérés au mois d'août dernier - certains ont passé plus de 23 années en captivité dans le désert; ils avaient été oubliés. En contre partie, le gouvernement marocain n?a toujours pas relâché les quelques 185 prisonniers politiques et donné des précisions sur les autres 500 sahraouis portés disparus. 37 des détenus sahraouis ont fait une grève de la faim durant un mois cet été. Aminatou Haidar, militante des droits de la femme, incarcérée et torturée par la police marocaine, a été hospitalisée: son état est critique. Sur internet d'horribles photos circulent, attestant de conditions de détention inhumaines. Et ce 3 octobre dernier, 36 étudiants sahraouis des universités de Casablanca et Rabat ont été violemment arrêtés et incarcérés après avoir manifesté pour la libération de leurs compatriotes.
L'accord de 1991 prévoyait la tenue d'un référendum l'année suivante. Rabat s'y opposa, comme à toutes les propositions présentées par James Baker, le représentant spécial de l'ONU. L'ex-secrétaire d'Etat américain finit par démissionner l'an passé. Son plan prévoyait une participation de tous, sahraouis et colons marocains, au référendum. Les colons étant aujourd'hui majoritaires, on imagine que Rabat ne fait même plus confiance à ses ressortissants. Sur ce point, en Europe, c'est le mur du silence.
Les opportunités pour faire face à nos responsabilités ne manquent pas. Un nouvel "envoyé personnel" du secrétaire général des Nations Unies vient d'être nommé, Peter van Walsum. Aussi, l'ancien conseiller principal de James Baker pour le Sahara occidental vient d'être nommé ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies, John Bolton. Auront ces deux hommes la volonté politique de convaincre le Conseil de Sécurité, et notamment les Etats membres de l'Union européenne qui y siègent, de s'attaquer aux causes profondes du problème ? La réalité est simple, répétons là : cesser la politique de complaisance à l'égard du Maroc.
Oui, soyons réalistes: pacifié, stabilisé, le Sahara occidental sera un atout pour l'Europe, la région se développera pour devenir un partenaire commercial important de l'Union; ses ressources naturelles en pétrole et en phosphates sont abondantes, ses industries de la pêche et du tourisme peuvent être lucratives.
Toute la sécurité du continent européen passe par un Sahara et un Maroc en paix. Les mécanismes qui alimentent le terrorisme international sont connus : dans le voisinage du Sahara Occidental, au Maroc, en Algérie, en Mauritanie, des réseaux fondamentalistes radicaux sont sur pied. Si l'Europe se désintéresse de trouver une résolution au conflit, quelles autres alternatives auront les nouvelles générations de Sahraouis de Tindouf et du Sahara, si ce n'est de se jeter dans les bras des "jihadistes" ?
L'Union européenne se doit de faire enfin comprendre à Rabat qu'il y va de son propre intérêt à mettre fin à une occupation illégale. A terme, les Marocains jouiront d'une relation de bon voisinage avec la RASD, comme aujourd'hui l'Indonésie avec son ancienne "province" du Timor oriental. D'ailleurs, le Maroc n'est pas exempt de menaces terroristes envers ses ressortissants.
Comme le Portugal au Timor oriental au début des années 80, l'Espagne adopte au Sahara un rôle de passivité : se prétendre démunie face à la puissance occupante (même si celle-ci joue avec le feu à Ceuta et Melilla?). La France joue le rôle de l'Australie à l'époque: donner des leçons sur le respect des Droits de l'Homme tout en entretenant une relation bilatérale privilégiée avec l'occupant. Les autres pays européens pratiquent, quant à eux, la politique de l'autruche. Le Maroc a les mains libres.
Les citoyens européens se mobilisent pour soutenir les Sahraouis. A Tindouf, des ONGs et des coopérants de nombreuses municipalités espagnoles sont présents quels que soient leurs partis politiques; comme chaque année à l'approche des périodes de fête, dix mille enfants réfugiés vont être accueillis dans des familles espagnoles; ils y apprendront la langue et passeront des examens médicaux. La mobilisation passe aussi par la culture : réalisateurs et acteurs espagnols s'investissent dans un "Festival de Cinéma du Sahara".
Ce sont des baumes sur le c?ur qui ne doivent éluder la question de fond. En tant que socialiste, je me dois d'être "encore plus exigeante" envers un gouvernement socialiste : le PSOE doit avoir le courage d'affronter politiquement le pouvoir au Maroc. Madrid ne doit pas faire pour le Sahara occidental ce que Lisbonne finit par faire à l?égard du Timor Leste : briser le mur du silence.
Publicado nos jornais "DNA-Dernières Nouvelles de Alsace" em 25.10.05 e «LE SOIR» de Bruxelas em 26.10.05
Six morts de plus à Ceuta et Melilla, et ce ne sont pas les premiers Africains à mourir en cherchant à pénétrer dans l'enclave et le "paradis" de l'Union européenne. Alors nous, européens, nous dressons des bilans sur l'état de pauvreté de l'Afrique, nous dénonçons la corruption de ses dirigeants (moins nos entreprises qui trop souvent l?encouragent) et enfin nous nous agitons avec notre aide humanitaire.
Chaque situation est particulière, celle qui nous lie au Maroc et aux enclaves espagnoles est empreinte d'une complaisance qui doit cesser. Il ne s'agit pas seulement du passage des émigrants à travers ses frontières et de l'abjecte réaction des gendarmes marocains, soudainement zélés, qui lâchent leurs troupeaux humains, les mains encore attachées dans le dos, au milieu du désert, au sud d'Oujda.
Les interrogations de l'Union européenne ont des racines plus profondes que celles mise à jour par un légitime courroux autour de Ceuta et Melilla. Depuis plus de 10 ans, des délégations de députés du Parlement européen se rendent en mission au Sahara espagnol, au Sud du Maroc. En vain, elles croisent un fantôme nommé référendum d'autodétermination et, en dernier recours, permettent à 180 000 autres fantômes de survivre grâce à l'aide humanitaire distribuée.
En mars dernier, avec d'autres députés du Parlement européen et de l'Assemblée nationale espagnole, j'ai partagé la vie des réfugiés de Tindouf, dans le sud de l'Algérie, au "Hamada", le désert des déserts. Quatre petites journées pour rencontrer ceux qui depuis exactement trente années se battent pour revenir chez eux, les territoires occupés par le Maroc. L'aide humanitaire, dans le désert, est la principale source de subsistance. Les Sahraouis pourraient s'en passer, ils savent survivre dans un environnement inhospitalier. A condition d'être chez eux.
Il est temps maintenant de cesser d'alléger la conscience de certains des membres de l'Union européenne, ceux qui portent leur part de responsabilité dans le blocage du processus de décolonisation du Sahara occidental. Une solution politique pourrait voir le jour sous l'égide des Nations Unies qui en 1991, déjà, créa la "Minurso" organisme chargé d'observer le cessez-le-feu signé entre la "République Arabe Sahraouie Démocratique" et le Maroc.
Les 404 derniers prisonniers de guerre marocains détenus par le Front Polisario, le mouvement nationaliste sahraoui, ont été libérés au mois d'août dernier - certains ont passé plus de 23 années en captivité dans le désert; ils avaient été oubliés. En contre partie, le gouvernement marocain n?a toujours pas relâché les quelques 185 prisonniers politiques et donné des précisions sur les autres 500 sahraouis portés disparus. 37 des détenus sahraouis ont fait une grève de la faim durant un mois cet été. Aminatou Haidar, militante des droits de la femme, incarcérée et torturée par la police marocaine, a été hospitalisée: son état est critique. Sur internet d'horribles photos circulent, attestant de conditions de détention inhumaines. Et ce 3 octobre dernier, 36 étudiants sahraouis des universités de Casablanca et Rabat ont été violemment arrêtés et incarcérés après avoir manifesté pour la libération de leurs compatriotes.
L'accord de 1991 prévoyait la tenue d'un référendum l'année suivante. Rabat s'y opposa, comme à toutes les propositions présentées par James Baker, le représentant spécial de l'ONU. L'ex-secrétaire d'Etat américain finit par démissionner l'an passé. Son plan prévoyait une participation de tous, sahraouis et colons marocains, au référendum. Les colons étant aujourd'hui majoritaires, on imagine que Rabat ne fait même plus confiance à ses ressortissants. Sur ce point, en Europe, c'est le mur du silence.
Les opportunités pour faire face à nos responsabilités ne manquent pas. Un nouvel "envoyé personnel" du secrétaire général des Nations Unies vient d'être nommé, Peter van Walsum. Aussi, l'ancien conseiller principal de James Baker pour le Sahara occidental vient d'être nommé ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies, John Bolton. Auront ces deux hommes la volonté politique de convaincre le Conseil de Sécurité, et notamment les Etats membres de l'Union européenne qui y siègent, de s'attaquer aux causes profondes du problème ? La réalité est simple, répétons là : cesser la politique de complaisance à l'égard du Maroc.
Oui, soyons réalistes: pacifié, stabilisé, le Sahara occidental sera un atout pour l'Europe, la région se développera pour devenir un partenaire commercial important de l'Union; ses ressources naturelles en pétrole et en phosphates sont abondantes, ses industries de la pêche et du tourisme peuvent être lucratives.
Toute la sécurité du continent européen passe par un Sahara et un Maroc en paix. Les mécanismes qui alimentent le terrorisme international sont connus : dans le voisinage du Sahara Occidental, au Maroc, en Algérie, en Mauritanie, des réseaux fondamentalistes radicaux sont sur pied. Si l'Europe se désintéresse de trouver une résolution au conflit, quelles autres alternatives auront les nouvelles générations de Sahraouis de Tindouf et du Sahara, si ce n'est de se jeter dans les bras des "jihadistes" ?
L'Union européenne se doit de faire enfin comprendre à Rabat qu'il y va de son propre intérêt à mettre fin à une occupation illégale. A terme, les Marocains jouiront d'une relation de bon voisinage avec la RASD, comme aujourd'hui l'Indonésie avec son ancienne "province" du Timor oriental. D'ailleurs, le Maroc n'est pas exempt de menaces terroristes envers ses ressortissants.
Comme le Portugal au Timor oriental au début des années 80, l'Espagne adopte au Sahara un rôle de passivité : se prétendre démunie face à la puissance occupante (même si celle-ci joue avec le feu à Ceuta et Melilla?). La France joue le rôle de l'Australie à l'époque: donner des leçons sur le respect des Droits de l'Homme tout en entretenant une relation bilatérale privilégiée avec l'occupant. Les autres pays européens pratiquent, quant à eux, la politique de l'autruche. Le Maroc a les mains libres.
Les citoyens européens se mobilisent pour soutenir les Sahraouis. A Tindouf, des ONGs et des coopérants de nombreuses municipalités espagnoles sont présents quels que soient leurs partis politiques; comme chaque année à l'approche des périodes de fête, dix mille enfants réfugiés vont être accueillis dans des familles espagnoles; ils y apprendront la langue et passeront des examens médicaux. La mobilisation passe aussi par la culture : réalisateurs et acteurs espagnols s'investissent dans un "Festival de Cinéma du Sahara".
Ce sont des baumes sur le c?ur qui ne doivent éluder la question de fond. En tant que socialiste, je me dois d'être "encore plus exigeante" envers un gouvernement socialiste : le PSOE doit avoir le courage d'affronter politiquement le pouvoir au Maroc. Madrid ne doit pas faire pour le Sahara occidental ce que Lisbonne finit par faire à l?égard du Timor Leste : briser le mur du silence.
Publicado nos jornais "DNA-Dernières Nouvelles de Alsace" em 25.10.05 e «LE SOIR» de Bruxelas em 26.10.05